Topic 7190220

DH//220Re://T7190 [Tian/Dora/Yori/LudvikVich - Thaïs] post. 18-01-20 16:04:25

 

 

© photo DH//Ludvik,  Guido Reni, Joseph et la femme de Putiphar (vers 1630), Los Angeles, J-Paul Getty museum

THAÏS

220Re://T7190 [Tian/Dora/Yori/LudvikVich - Thaïs] post. 18-01-20 16:04:25

Malheur d’un cénobite. Peine d’homme. Un océan,  qui vacille. Qui menace de s’en prendre à la faille par où va se disloquer le glacier. Une vie en soi. Rarement le chagrin d’un mâle est orphelin de misère ou d’horreur. Ce n’est pas un robinet bienfaiteur. Qu’une seule grande souffrance – le visage est un ciel ; l’œil, un berceau de pluie. En voulant l’atténuer, elle jette un reflet sur l’aspect brutal de l’être. Les langues qui attribuent un sexe aux choses inanimées utilisent le masculin pour les larmes viriles ; les sanglots de Paillasse, les pleurs d’Athanaël.

220Re://T7190 [Tian/Dora/Yori/LudvikVich - Thaïs] post. 18-01-20 16:16:55

Thaïs est l’histoire d’une transformation spirituelle. Le plus touchant chez Massenet (comme chez Anatole France, d’où est tirée l’histoire), est que l’on ne sent jamais de jugement ni de parti pris sur la  question du péché (de la chair), mot qui revient comme une obsession, au début de l’opéra, chez Athanaël qui veut convertir la courtisane Thaïs à sa foi. Cette offense est magnifiée par la musique, au contraire, elle est érigée comme un empire sensuel qui touche à la mythologie (je pense aux sirènes de L’Odyssée), au bonheur ineffable, à la joie (la scène du banquet chez Nicias à l’acte I est d’une jubilation naturelle qui donne à la dimension sexuelle des rêves d’Athanaël la plénitude des textures, des ors et des pourpres qui ont fait la grandeur de la peinture traitant des sujets bibliques). L’argument étant de combattre l’impureté, c’est cette impureté même qui est transcendée par la musique et qui la rend encore plus improbable à être vaincue.

220Re://T7190 [Tian/Dora/Yori/LudvikVich - Thaïs] post. 18-01-20 16:19:37

Est-ce que la vertu n’est pas quelque chose de décourageant en soi quand il faut la mettre en musique avec autant de sérieux? Puccini réussit très bien à la caractériser en ironisant (le sacristain dans Tosca, l’ingénuité des nonnes dans Suor Angelica) mais les deux grands airs d’Athanaël sont teintés de cette morale austère qui nous empêche de l’aimer comme Thaïs, dans le revirement de situation à la fin de l’œuvre, l’aimera.

220Re://T7190 [Tian/Dora/Yori/LudvikVich - Thaïs] post. 18-01-20 16:21:59

Cet opéra me séduit par la perfection de sa géométrie. Trois actes d’égale longueur, constitués chacun de deux scènes aux proportions semblables. Rien n’est de trop ici, rien n’est arrangé, tout se déroule selon une ordonnance parfaite: la musique, les chœurs, les danses, les moments de solitude. La fameuse Méditation pour violon arrive en plein centre géométrique de l’opéra, marquant ce temps d’arrêt et de métamorphose. Plus extraordinaire encore, c’est dans l’axe de l’abstinence vers la reconnaissance de l’amour charnel que les deux personnages vont se rencontrer, partis d’aussi loin l’un que l’autre pour atteindre le but où semble être positionné l’autre au départ. Athanaël vers la reconnaissance de son désir pour Thaïs, Thaïs vers l’abnégation de ce désir pour la chair, elle qui incarne d’abord la femme perdue. Point de vue thématique, nous sommes presque chez Wagner: elle va mourir dans la pureté pour la rédemption de l’homme qui devait la sauver.

220Re://T7190 [Tian/Dora/Yori/LudvikVich - Thaïs] post. 18-01-20 16:24:06

Pas vraiment d’accord avec vous Ludvik. L’austérité chez Athanaël est une arme qu’il se destine pour moins souffrir de la douleur que lui procure le désir de la femme. Thaïs est une histoire qui ne se comprend qu’une fois l’opéra fini. Au début, on croit à la sincérité des deux protagonistes. Or ils ne seront sincères qu’à la toute fin, lorsque les transformations spirituelles auront eu lieu. Athanaël n’est donc jamais intégré dans sa foi, c’est une attitude spartiate à laquelle il se soumet pour contrer une violence plus grande encore. Même chose pour Thaïs dont la conversion est tellement intransigeante à la fin qu’on ne peut attribuer cette métamorphose à un simple raisonnement moral, (ni même à l’inspiration de l’interlude orchestral intitulé Méditation, si vertigineusement belle que soit cette page).

Quant à l’air Voici donc la terrible cité que Nathanaël chante à la deuxième scène du premier acte, en entrant dans Alexandrie, c’est, pour ma sensibilité personnelle, la plus belle incarnation musicale des fontaines. Ni Liszt, ni Debussy ni Respighi ne m’ont jamais fait voir de plus hallucinants jets d’eau dans leur puissant lyrisme. Au lieu d’effervescence, je parlerais ici d’incandescence. Ce sont des feux d’artifices d’eau. Je pense qu’Athanaël, et ici Yori a raison d’évoquer Wagner, est un des grands héros prisonniers de l’érotisme féminin à l’opéra. Plus encore que Tannhäuser.

220Re://T7190 [Tian/Dora/Yori/LudvikVich - Thaïs] post. 18-01-20 16:27:45

La seule chose que je reprocherais peut-être à Massenet, c’est de ne pas avoir intitulé son grand interlude orchestral avec violon solo Métamorphose au lieu de Méditation. Parce que c’est le thème qui accompagne non seulement la transformation spirituelle de Thaïs, mais aussi celle d’Athanaël dans la reconnaissance et l’acceptation de son désir.

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© photo DH//Ludvik,  Guido Reni, Joseph et la femme de Putiphar (vers 1630), Los Angeles, J-Paul Getty museum

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Malheur d’un cénobite. Peine d’homme. Un océan,  qui vacille. Qui menace de s’en prendre à la faille par où va se disloquer le glacier. Une vie en soi. Rarement le chagrin d’un mâle est orphelin de misère ou d’horreur. Ce n’est pas un robinet bienfaiteur. Qu’une seule grande souffrance – le visage est un ciel ; l’œil, un berceau de pluie. En voulant l’atténuer, elle jette un reflet sur l’aspect brutal de l’être. Les langues qui attribuent un sexe aux choses inanimées utilisent le masculin pour les larmes viriles ; les sanglots de Paillasse, les pleurs d’Athanaël.

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Thaïs est l’histoire d’une transformation spirituelle. Le plus touchant chez Massenet (comme chez Anatole France, d’où est tirée l’histoire), est que l’on ne sent jamais de jugement ni de parti pris sur la  question du péché (de la chair), mot qui revient comme une obsession, au début de l’opéra, chez Athanaël qui veut convertir la courtisane Thaïs à sa foi. Cette offense est magnifiée par la musique, au contraire, elle est érigée comme un empire sensuel qui touche à la mythologie (je pense aux sirènes de L’Odyssée), au bonheur ineffable, à la joie (la scène du banquet chez Nicias à l’acte I est d’une jubilation naturelle qui donne à la dimension sexuelle des rêves d’Athanaël la plénitude des textures, des ors et des pourpres qui ont fait la grandeur de la peinture traitant des sujets bibliques). L’argument étant de combattre l’impureté, c’est cette impureté même qui est transcendée par la musique et qui la rend encore plus improbable à être vaincue.

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Est-ce que la vertu n’est pas quelque chose de décourageant en soi quand il faut la mettre en musique avec autant de sérieux? Puccini réussit très bien à la caractériser en ironisant (le sacristain dans Tosca, l’ingénuité des nonnes dans Suor Angelica) mais les deux grands airs d’Athanaël sont teintés de cette morale austère qui nous empêche de l’aimer comme Thaïs, dans le revirement de situation à la fin de l’œuvre, l’aimera.

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Cet opéra me séduit par la perfection de sa géométrie. Trois actes d’égale longueur, constitués chacun de deux scènes aux proportions semblables. Rien n’est de trop ici, rien n’est arrangé, tout se déroule selon une ordonnance parfaite: la musique, les chœurs, les danses, les moments de solitude. La fameuse Méditation pour violon arrive en plein centre géométrique de l’opéra, marquant ce temps d’arrêt et de métamorphose. Plus extraordinaire encore, c’est dans l’axe de l’abstinence vers la reconnaissance de l’amour charnel que les deux personnages vont se rencontrer, partis d’aussi loin l’un que l’autre pour atteindre le but où semble être positionné l’autre au départ. Athanaël vers la reconnaissance de son désir pour Thaïs, Thaïs vers l’abnégation de ce désir pour la chair, elle qui incarne d’abord la femme perdue. Point de vue thématique, nous sommes presque chez Wagner: elle va mourir dans la pureté pour la rédemption de l’homme qui devait la sauver.

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Pas vraiment d’accord avec vous Ludvik. L’austérité chez Athanaël est une arme qu’il se destine pour moins souffrir de la douleur que lui procure le désir de la femme. Thaïs est une histoire qui ne se comprend qu’une fois l’opéra fini. Au début, on croit à la sincérité des deux protagonistes. Or ils ne seront sincères qu’à la toute fin, lorsque les transformations spirituelles auront eu lieu. Athanaël n’est donc jamais intégré dans sa foi, c’est une attitude spartiate à laquelle il se soumet pour contrer une violence plus grande encore. Même chose pour Thaïs dont la conversion est tellement intransigeante à la fin qu’on ne peut attribuer cette métamorphose à un simple raisonnement moral, (ni même à l’inspiration de l’interlude orchestral intitulé Méditation, si vertigineusement belle que soit cette page).

Quant à l’air Voici donc la terrible cité que Nathanaël chante à la deuxième scène du premier acte, en entrant dans Alexandrie, c’est, pour ma sensibilité personnelle, la plus belle incarnation musicale des fontaines. Ni Liszt, ni Debussy ni Respighi ne m’ont jamais fait voir de plus hallucinants jets d’eau dans leur puissant lyrisme. Au lieu d’effervescence, je parlerais ici d’incandescence. Ce sont des feux d’artifices d’eau. Je pense qu’Athanaël, et ici Yori a raison d’évoquer Wagner, est un des grands héros prisonniers de l’érotisme féminin à l’opéra. Plus encore que Tannhäuser.

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La seule chose que je reprocherais peut-être à Massenet, c’est de ne pas avoir intitulé son grand interlude orchestral avec violon solo Métamorphose au lieu de Méditation. Parce que c’est le thème qui accompagne non seulement la transformation spirituelle de Thaïs, mais aussi celle d’Athanaël dans la reconnaissance et l’acceptation de son désir.

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© photo DH//Ludvik,  Guido Reni, Joseph et la femme de Putiphar (vers 1630), Los Angeles, J-Paul Getty museum

THAÏS

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Malheur d’un cénobite. Peine d’homme. Un océan,  qui vacille. Qui menace de s’en prendre à la faille par où va se disloquer le glacier. Une vie en soi. Rarement le chagrin d’un mâle est orphelin de misère ou d’horreur. Ce n’est pas un robinet bienfaiteur. Qu’une seule grande souffrance – le visage est un ciel ; l’œil, un berceau de pluie. En voulant l’atténuer, elle jette un reflet sur l’aspect brutal de l’être. Les langues qui attribuent un sexe aux choses inanimées utilisent le masculin pour les larmes viriles ; les sanglots de Paillasse, les pleurs d’Athanaël.

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Thaïs est l’histoire d’une transformation spirituelle. Le plus touchant chez Massenet (comme chez Anatole France, d’où est tirée l’histoire), est que l’on ne sent jamais de jugement ni de parti pris sur la  question du péché (de la chair), mot qui revient comme une obsession, au début de l’opéra, chez Athanaël qui veut convertir la courtisane Thaïs à sa foi. Cette offense est magnifiée par la musique, au contraire, elle est érigée comme un empire sensuel qui touche à la mythologie (je pense aux sirènes de L’Odyssée), au bonheur ineffable, à la joie (la scène du banquet chez Nicias à l’acte I est d’une jubilation naturelle qui donne à la dimension sexuelle des rêves d’Athanaël la plénitude des textures, des ors et des pourpres qui ont fait la grandeur de la peinture traitant des sujets bibliques). L’argument étant de combattre l’impureté, c’est cette impureté même qui est transcendée par la musique et qui la rend encore plus improbable à être vaincue.

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Est-ce que la vertu n’est pas quelque chose de décourageant en soi quand il faut la mettre en musique avec autant de sérieux? Puccini réussit très bien à la caractériser en ironisant (le sacristain dans Tosca, l’ingénuité des nonnes dans Suor Angelica) mais les deux grands airs d’Athanaël sont teintés de cette morale austère qui nous empêche de l’aimer comme Thaïs, dans le revirement de situation à la fin de l’œuvre, l’aimera.

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Cet opéra me séduit par la perfection de sa géométrie. Trois actes d’égale longueur, constitués chacun de deux scènes aux proportions semblables. Rien n’est de trop ici, rien n’est arrangé, tout se déroule selon une ordonnance parfaite: la musique, les chœurs, les danses, les moments de solitude. La fameuse Méditation pour violon arrive en plein centre géométrique de l’opéra, marquant ce temps d’arrêt et de métamorphose. Plus extraordinaire encore, c’est dans l’axe de l’abstinence vers la reconnaissance de l’amour charnel que les deux personnages vont se rencontrer, partis d’aussi loin l’un que l’autre pour atteindre le but où semble être positionné l’autre au départ. Athanaël vers la reconnaissance de son désir pour Thaïs, Thaïs vers l’abnégation de ce désir pour la chair, elle qui incarne d’abord la femme perdue. Point de vue thématique, nous sommes presque chez Wagner: elle va mourir dans la pureté pour la rédemption de l’homme qui devait la sauver.

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Pas vraiment d’accord avec vous Ludvik. L’austérité chez Athanaël est une arme qu’il se destine pour moins souffrir de la douleur que lui procure le désir de la femme. Thaïs est une histoire qui ne se comprend qu’une fois l’opéra fini. Au début, on croit à la sincérité des deux protagonistes. Or ils ne seront sincères qu’à la toute fin, lorsque les transformations spirituelles auront eu lieu. Athanaël n’est donc jamais intégré dans sa foi, c’est une attitude spartiate à laquelle il se soumet pour contrer une violence plus grande encore. Même chose pour Thaïs dont la conversion est tellement intransigeante à la fin qu’on ne peut attribuer cette métamorphose à un simple raisonnement moral, (ni même à l’inspiration de l’interlude orchestral intitulé Méditation, si vertigineusement belle que soit cette page).

Quant à l’air Voici donc la terrible cité que Nathanaël chante à la deuxième scène du premier acte, en entrant dans Alexandrie, c’est, pour ma sensibilité personnelle, la plus belle incarnation musicale des fontaines. Ni Liszt, ni Debussy ni Respighi ne m’ont jamais fait voir de plus hallucinants jets d’eau dans leur puissant lyrisme. Au lieu d’effervescence, je parlerais ici d’incandescence. Ce sont des feux d’artifices d’eau. Je pense qu’Athanaël, et ici Yori a raison d’évoquer Wagner, est un des grands héros prisonniers de l’érotisme féminin à l’opéra. Plus encore que Tannhäuser.

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La seule chose que je reprocherais peut-être à Massenet, c’est de ne pas avoir intitulé son grand interlude orchestral avec violon solo Métamorphose au lieu de Méditation. Parce que c’est le thème qui accompagne non seulement la transformation spirituelle de Thaïs, mais aussi celle d’Athanaël dans la reconnaissance et l’acceptation de son désir.