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Topic 7190280

DH//280] post. 18-04-15 14:53:37

 

 

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L'Épouse de Pranesh

 

     L’épouse de Pranesh était la plus jeune, mais pas vraiment la plus jolie des brus d’Aamena. C’est qu’elle ne maîtrisait pas l’art de rehausser son image.

 

    Aussi Anihita, l’épouse de Santosh, trouvait désolant que cette fille des parias, qui avait reçu bien peu de dons à sa naissance, ne fasse jamais l’envie de ses belles-sœurs. Elle décida d’y remédier: le banquet des rois allait voir apparaître la plus belle et la plus fine des fleurs du Bengale. La plus séduisante aussi. À la fin d’un demi jour de maquillage et d’essayage de costumes et de bijoux, Anihita lui fit boire un thé à riche teneur en hormone de tigresse, qui eut pour effet de rendre la jeune épouse encore plus fatalement attirante à l’instinct des hommes.

 

    Le succès ne se fit pas attendre. Dès l’entrée de la jeune femme dans l’agora, des oh! et des ah! fusèrent discrètement de l’assemblée. Pranesh demanda, les yeux écarquillés: «Qui est cette déesse?» À la réponse qu’on lui fit en chœur, il faillit s’évanouir.

 

     Devant un pareil accueil, la jeune femme se demanda si sa belle-sœur n’avait pas exagéré la mise. Elle avait osé un dégradé avec trois bâtons de rouge à lèvres successifs, allant du noir violacé au jaune oranger des coquillages en passant par le vermillon d’un crépuscule sanglant. La jeune femme courut à l’étage dans l’une des alcôves de lecture avoisinant la bibliothèque, où il y avait un miroir.

 

    «Comme les fils d’Aamena doivent être jaloux de leur frère!» pensa-t-elle en se voyant. Jamais elle n’avait rencontré de femme plus parfaitement irrésistible, de toute sa vie, ni dans les Indes d’ici, ni dans celles d’ailleurs.

 

    Anahita lui avait décidément consacré toute la quintessence de son art. Cette embellisseuse de profession ne connaissait-elle pas les secrets du bharata natyam, après avoir étudié la haute coiffure et la gestuelle érotique à Mumbai?

 

    «Tu seras la plus belle, éternellement», avait-elle chanté en parachevant la métamorphose.

 

     Elle, la jeune épouse qui, un an plutôt, n’avait pas eu droit à un mariage traditionnel (puisqu’elle provenait d’une caste inférieure), savourait le plus beau jour de sa vie.

 

 

*

 

 

    En ce soir d’épiphanie, elle accompagnait les danseurs sur le bord du Gange reconstitué, prodiguant déhanchements et manières provocatrices vers son époux qu’elle n’avait encore jamais vu aussi entiché de sa beauté, au point qu’elle-même ne parvenait toujours pas à y croire. Elle se détacha donc du groupe de danseurs pour se diriger vers la table du banquet, mais ce n’était qu’un prétexte pour remonter vers l’alcôve, à l’étage, où elle pouvait se regarder dans le miroir en se pinçant, et redescendre, avec une assurance renouvelée, pour continuer d’éprouver son pouvoir dans le regard de son époux.

 

     «Reste! l’implorait ce dernier. Cesse à tout instant de monter te regarder.» Il lui dit que si cette beauté venait à décliner, il l’en avertirait, et monterait avec elle pour l’assister dans ses retouches.

 

     La jeune épouse fit la moue. Elle regarda à la ronde si ses beaux-frères n’étaient pas eux aussi attirés par le noir intense de ses sourcils et l’obscurité sensuelle de sa carnation. Il lui sembla que Sindh et Song ne la regardaient pas assez. Elle décida donc de remonter.

 

     En virevoltant dans l’escalier, elle s’aperçut que Pranesh, qui avait remis ses habits de mage perfide, la suivait. Elle crut en perdre la tête d’un plaisir qui l’agitait d’un rire effréné, mais… oh… déception en se voyant dans le miroir: son bindi au front avait tendance à se décolorer.

 

     Mauvais augure: à trop vouloir se faire remarquer par ses beaux-frères, elle commençait à ressembler à une fille non encore mariée. Elle voulut en aviser Anahita mais constata avec dépit que son téléphone cellulaire était défectueux.

 

     Elle cacha la moitié de son visage dans son voile en entendant le pas de son époux se rapprocher. Mais lorsque le danseur essoufflé parut dans la porte, elle ne le reconnut pas. «Allez-vous en!», lui ordonna-t-elle, et l’homme habillé comme Pranesh recula d’un pas, lui-même effrayé de se retrouver devant une étrangère.

 

     Fébrile à son miroir, elle arrangea son bindi mais le pinceau dans sa main qui tremblait fit une bavure. Elle s’en trouva quitte pour replacer les perles de son tikka au milieu de son front de manière à cacher le dégât (bien relatif, mais nous parlions de perfection tout à l’heure)… et redescendit un peu moins légère, non sans se demander qui pouvait bien être cet homme qui l’avait suivie dans l’escalier en se faisant passer pour son époux.

 

     Un bref coup d’œil à la table du banquet lui fit constater que ses beaux-frères s’y trouvaient, moins deux qui manquaient, mais elle vit, tout de suite après, que ceux-ci étaient avec Pranesh sur le bord du Gange.

C’est alors qu’elle décida courageusement de retourner là-haut, car il lui importait de savoir qui, dans cette assemblée, était à ce point ensorcelé par sa beauté pour avoir commis l’exploit d’emprunter le costume du mage et de la suivre.

 

     Dans l'escalier, elle revit l’inconnu qui descendait. Elle frissonna en remarquant que les mains de l’homme étaient ensanglantées.

 

     L’escalier était suffisamment large pour que l’un et l’autre puissent se croiser sans se toucher, sans quoi la jeune femme aurait rebroussé chemin pour éviter de frôler le diable en personne. Retenant sa frayeur, elle se précipita à son miroir.

 

Mais...

Oh quelle horreur…

Ce qu’elle vit, ou plutôt ce qu’elle ne vit pas, lui arracha un long cri d’effroi: elle n’avait plus de reflet!

 

 

SUITE

 

 

 

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L'Épouse de Pranesh

 

     L’épouse de Pranesh était la plus jeune, mais pas vraiment la plus jolie des brus d’Aamena. C’est qu’elle ne maîtrisait pas l’art de rehausser son image.

 

    Aussi Anihita, l’épouse de Santosh, trouvait désolant que cette fille des parias, qui avait reçu bien peu de dons à sa naissance, ne fasse jamais l’envie de ses belles-sœurs. Elle décida d’y remédier: le banquet des rois allait voir apparaître la plus belle et la plus fine des fleurs du Bengale. La plus séduisante aussi. À la fin d’un demi jour de maquillage et d’essayage de costumes et de bijoux, Anihita lui fit boire un thé à riche teneur en hormone de tigresse, qui eut pour effet de rendre la jeune épouse encore plus fatalement attirante à l’instinct des hommes.

 

    Le succès ne se fit pas attendre. Dès l’entrée de la jeune femme dans l’agora, des oh! et des ah! fusèrent discrètement de l’assemblée. Pranesh demanda, les yeux écarquillés: «Qui est cette déesse?» À la réponse qu’on lui fit en chœur, il faillit s’évanouir.

 

     Devant un pareil accueil, la jeune femme se demanda si sa belle-sœur n’avait pas exagéré la mise. Elle avait osé un dégradé avec trois bâtons de rouge à lèvres successifs, allant du noir violacé au jaune oranger des coquillages en passant par le vermillon d’un crépuscule sanglant. La jeune femme courut à l’étage dans l’une des alcôves de lecture avoisinant la bibliothèque, où il y avait un miroir.

 

    «Comme les fils d’Aamena doivent être jaloux de leur frère!» pensa-t-elle en se voyant. Jamais elle n’avait rencontré de femme plus parfaitement irrésistible, de toute sa vie, ni dans les Indes d’ici, ni dans celles d’ailleurs.

 

    Anahita lui avait décidément consacré toute la quintessence de son art. Cette embellisseuse de profession ne connaissait-elle pas les secrets du bharata natyam, après avoir étudié la haute coiffure et la gestuelle érotique à Mumbai?

 

    «Tu seras la plus belle, éternellement», avait-elle chanté en parachevant la métamorphose.

 

     Elle, la jeune épouse qui, un an plutôt, n’avait pas eu droit à un mariage traditionnel (puisqu’elle provenait d’une caste inférieure), savourait le plus beau jour de sa vie.

 

 

*

 

 

    En ce soir d’épiphanie, elle accompagnait les danseurs sur le bord du Gange reconstitué, prodiguant déhanchements et manières provocatrices vers son époux qu’elle n’avait encore jamais vu aussi entiché de sa beauté, au point qu’elle-même ne parvenait toujours pas à y croire. Elle se détacha donc du groupe de danseurs pour se diriger vers la table du banquet, mais ce n’était qu’un prétexte pour remonter vers l’alcôve, à l’étage, où elle pouvait se regarder dans le miroir en se pinçant, et redescendre, avec une assurance renouvelée, pour continuer d’éprouver son pouvoir dans le regard de son époux.

 

     «Reste! l’implorait ce dernier. Cesse à tout instant de monter te regarder.» Il lui dit que si cette beauté venait à décliner, il l’en avertirait, et monterait avec elle pour l’assister dans ses retouches.

 

     La jeune épouse fit la moue. Elle regarda à la ronde si ses beaux-frères n’étaient pas eux aussi attirés par le noir intense de ses sourcils et l’obscurité sensuelle de sa carnation. Il lui sembla que Sindh et Song ne la regardaient pas assez. Elle décida donc de remonter.

 

     En virevoltant dans l’escalier, elle s’aperçut que Pranesh, qui avait remis ses habits de mage perfide, la suivait. Elle crut en perdre la tête d’un plaisir qui l’agitait d’un rire effréné, mais… oh… déception en se voyant dans le miroir: son bindi au front avait tendance à se décolorer.

 

     Mauvais augure: à trop vouloir se faire remarquer par ses beaux-frères, elle commençait à ressembler à une fille non encore mariée. Elle voulut en aviser Anahita mais constata avec dépit que son téléphone cellulaire était défectueux.

 

     Elle cacha la moitié de son visage dans son voile en entendant le pas de son époux se rapprocher. Mais lorsque le danseur essoufflé parut dans la porte, elle ne le reconnut pas. «Allez-vous en!», lui ordonna-t-elle, et l’homme habillé comme Pranesh recula d’un pas, lui-même effrayé de se retrouver devant une étrangère.

 

     Fébrile à son miroir, elle arrangea son bindi mais le pinceau dans sa main qui tremblait fit une bavure. Elle s’en trouva quitte pour replacer les perles de son tikka au milieu de son front de manière à cacher le dégât (bien relatif, mais nous parlions de perfection tout à l’heure)… et redescendit un peu moins légère, non sans se demander qui pouvait bien être cet homme qui l’avait suivie dans l’escalier en se faisant passer pour son époux.

 

     Un bref coup d’œil à la table du banquet lui fit constater que ses beaux-frères s’y trouvaient, moins deux qui manquaient, mais elle vit, tout de suite après, que ceux-ci étaient avec Pranesh sur le bord du Gange.

C’est alors qu’elle décida courageusement de retourner là-haut, car il lui importait de savoir qui, dans cette assemblée, était à ce point ensorcelé par sa beauté pour avoir commis l’exploit d’emprunter le costume du mage et de la suivre.

 

     Dans l'escalier, elle revit l’inconnu qui descendait. Elle frissonna en remarquant que les mains de l’homme étaient ensanglantées.

 

     L’escalier était suffisamment large pour que l’un et l’autre puissent se croiser sans se toucher, sans quoi la jeune femme aurait rebroussé chemin pour éviter de frôler le diable en personne. Retenant sa frayeur, elle se précipita à son miroir.

 

Mais...

Oh quelle horreur…

Ce qu’elle vit, ou plutôt ce qu’elle ne vit pas, lui arracha un long cri d’effroi: elle n’avait plus de reflet!

 

 

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     L’épouse de Pranesh était la plus jeune, mais pas vraiment la plus jolie des brus d’Aamena. C’est qu’elle ne maîtrisait pas l’art de rehausser son image.

 

    Aussi Anihita, l’épouse de Santosh, trouvait désolant que cette fille des parias, qui avait reçu bien peu de dons à sa naissance, ne fasse jamais l’envie de ses belles-sœurs. Elle décida d’y remédier: le banquet des rois allait voir apparaître la plus belle et la plus fine des fleurs du Bengale. La plus séduisante aussi. À la fin d’un demi jour de maquillage et d’essayage de costumes et de bijoux, Anihita lui fit boire un thé à riche teneur en hormone de tigresse, qui eut pour effet de rendre la jeune épouse encore plus fatalement attirante à l’instinct des hommes.

 

    Le succès ne se fit pas attendre. Dès l’entrée de la jeune femme dans l’agora, des oh! et des ah! fusèrent discrètement de l’assemblée. Pranesh demanda, les yeux écarquillés: «Qui est cette déesse?» À la réponse qu’on lui fit en chœur, il faillit s’évanouir.

 

     Devant un pareil accueil, la jeune femme se demanda si sa belle-sœur n’avait pas exagéré la mise. Elle avait osé un dégradé avec trois bâtons de rouge à lèvres successifs, allant du noir violacé au jaune oranger des coquillages en passant par le vermillon d’un crépuscule sanglant. La jeune femme courut à l’étage dans l’une des alcôves de lecture avoisinant la bibliothèque, où il y avait un miroir.

 

    «Comme les fils d’Aamena doivent être jaloux de leur frère!» pensa-t-elle en se voyant. Jamais elle n’avait rencontré de femme plus parfaitement irrésistible, de toute sa vie, ni dans les Indes d’ici, ni dans celles d’ailleurs.

 

    Anahita lui avait décidément consacré toute la quintessence de son art. Cette embellisseuse de profession ne connaissait-elle pas les secrets du bharata natyam, après avoir étudié la haute coiffure et la gestuelle érotique à Mumbai?

 

    «Tu seras la plus belle, éternellement», avait-elle chanté en parachevant la métamorphose.

 

     Elle, la jeune épouse qui, un an plutôt, n’avait pas eu droit à un mariage traditionnel (puisqu’elle provenait d’une caste inférieure), savourait le plus beau jour de sa vie.

 

 

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    En ce soir d’épiphanie, elle accompagnait les danseurs sur le bord du Gange reconstitué, prodiguant déhanchements et manières provocatrices vers son époux qu’elle n’avait encore jamais vu aussi entiché de sa beauté, au point qu’elle-même ne parvenait toujours pas à y croire. Elle se détacha donc du groupe de danseurs pour se diriger vers la table du banquet, mais ce n’était qu’un prétexte pour remonter vers l’alcôve, à l’étage, où elle pouvait se regarder dans le miroir en se pinçant, et redescendre, avec une assurance renouvelée, pour continuer d’éprouver son pouvoir dans le regard de son époux.

 

     «Reste! l’implorait ce dernier. Cesse à tout instant de monter te regarder.» Il lui dit que si cette beauté venait à décliner, il l’en avertirait, et monterait avec elle pour l’assister dans ses retouches.

 

     La jeune épouse fit la moue. Elle regarda à la ronde si ses beaux-frères n’étaient pas eux aussi attirés par le noir intense de ses sourcils et l’obscurité sensuelle de sa carnation. Il lui sembla que Sindh et Song ne la regardaient pas assez. Elle décida donc de remonter.

 

     En virevoltant dans l’escalier, elle s’aperçut que Pranesh, qui avait remis ses habits de mage perfide, la suivait. Elle crut en perdre la tête d’un plaisir qui l’agitait d’un rire effréné, mais… oh… déception en se voyant dans le miroir: son bindi au front avait tendance à se décolorer.

 

     Mauvais augure: à trop vouloir se faire remarquer par ses beaux-frères, elle commençait à ressembler à une fille non encore mariée. Elle voulut en aviser Anahita mais constata avec dépit que son téléphone cellulaire était défectueux.

 

     Elle cacha la moitié de son visage dans son voile en entendant le pas de son époux se rapprocher. Mais lorsque le danseur essoufflé parut dans la porte, elle ne le reconnut pas. «Allez-vous en!», lui ordonna-t-elle, et l’homme habillé comme Pranesh recula d’un pas, lui-même effrayé de se retrouver devant une étrangère.

 

     Fébrile à son miroir, elle arrangea son bindi mais le pinceau dans sa main qui tremblait fit une bavure. Elle s’en trouva quitte pour replacer les perles de son tikka au milieu de son front de manière à cacher le dégât (bien relatif, mais nous parlions de perfection tout à l’heure)… et redescendit un peu moins légère, non sans se demander qui pouvait bien être cet homme qui l’avait suivie dans l’escalier en se faisant passer pour son époux.

 

     Un bref coup d’œil à la table du banquet lui fit constater que ses beaux-frères s’y trouvaient, moins deux qui manquaient, mais elle vit, tout de suite après, que ceux-ci étaient avec Pranesh sur le bord du Gange.

C’est alors qu’elle décida courageusement de retourner là-haut, car il lui importait de savoir qui, dans cette assemblée, était à ce point ensorcelé par sa beauté pour avoir commis l’exploit d’emprunter le costume du mage et de la suivre.

 

     Dans l'escalier, elle revit l’inconnu qui descendait. Elle frissonna en remarquant que les mains de l’homme étaient ensanglantées.

 

     L’escalier était suffisamment large pour que l’un et l’autre puissent se croiser sans se toucher, sans quoi la jeune femme aurait rebroussé chemin pour éviter de frôler le diable en personne. Retenant sa frayeur, elle se précipita à son miroir.

 

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Oh quelle horreur…

Ce qu’elle vit, ou plutôt ce qu’elle ne vit pas, lui arracha un long cri d’effroi: elle n’avait plus de reflet!

 

 

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